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Conditions du Réveil des musulmans

Date : mars 20, 2025

(…) La remise en cause du récit sioniste ne trouvera évidemment aucune place dans l’espace médiatique qui a fait de la version israélienne des faits une vérité par défaut. La propagande d’Israël, digne des plus grands maîtres de l’illusion,  est parvenue à faire disparaître cent ans de nettoyage ethnique derrière l’opération du 7 octobre. La vérité historique importait peu par rapport à la nécessité de trouver une justification morale à la « riposte » violente de l’État d’Israël. Le Hamas a été ainsi accusé des pires atrocités, dont la supposée décapitation des bébés, « information » par la suite démentie notamment par le journal Haaretz[1]. Il s’agissait d’une pure invention sortie tout droit du cerveau malade des propagandistes israéliens que Joe Biden n’a pas hésité à reprendre à son compte sans la moindre preuve. Israël a très tôt développé une stratégie efficace d’endoctrinement et de manipulation de l’information au service de son programme de nettoyage ethnique. Il a par exemple lancé un programme de bourse offerte aux jeunes citoyens juifs vivant à l’extérieur de l’ « État » hébreu pour faire du lobbying dans leurs réseaux respectifs. En effet, une puissante organisation, connue sous le nom d’AIPAC (American Israel Public Affairs Committee), a vu le jour aux États-Unis en 1943 avec pour rôle de veiller à ce que les élus américains votent dans le sens des intérêts israéliens.[2] Que ce soit aux États-Unis ou en Europe, le lobby sioniste influence très clairement les politiques publiques en faveur des prérogatives d’Israël.

      C’est un fait établi qui pourrait difficilement relever d’une théorie du complot. À ce propos, l’accusation de complotisme est devenue un instrument efficace de disqualification de la pensée critique. C’est un moyen facile pour discréditer un discours non conventionnel et éviter un débat dérangeant. Toute remise en cause d’un pouvoir, d’un système ou d’une élite ne relève pas nécessairement du complotisme. Notons que le complotisme est une attitude psychologique qui prédispose à une certaine rigidité intellectuelle interdisant toute lecture complexe et nuancée du monde. La disposition mentale d’un complotiste le pousse à enfermer le monde dans une structure univoque qui lui donne à voir une masse d’individus vulnérables, manipulée par une force obscure qui conspire en vue de modeler le monde selon son dessein. À ce titre, la caractérisation systématique des musulmans et la critique de l’islamisme sous couvert de « lutte contre le terrorisme » ne sont-elles pas le fruit d’une vision complotiste qui entretient l’idée selon laquelle les « islamistes » fomentent secrètement un projet de domination sur la base de la Sharî’a ? Une telle perception biaisée et simpliste de la réalité ne relève-t-elle pas d’une dissonance cognitive chez les adeptes du « choc des civilisations », notamment lorsqu’ils reprennent à leur compte le concept théologique de « taqiyya » (dissimulation, prudence) pour justifier fallacieusement leur méfiance à l’égard de l’islam. N’est-ce pas une telle vision qui sous-tend d’une certaine façon l’hostilité occidentale envers l’islam ?

    Précisons en premier lieu que le terme de taqiyya en islam relève d’une nécessité pragmatique permettant à un croyant de dissimuler sa foi face à une menace grave comme la torture. C’est, plus précisément, un moyen de survie individuel en contexte de persécutions qui appelle à la prudence et non pas une ruse collective ou un outil politique pour dissimuler une volonté de conquête. L’extrapolation abusive qu’en font les adversaires de l’islam relève d’une lecture complotiste ayant des conséquences désastreuses dans le monde. Par ailleurs, l’uniformisation du monde sur la base d’une idéologie hégémonique ne participe pas de la vision islamique pour laquelle la diversité des cultures et des idées ne représente pas une menace ; bien au contraire, elle constitue un signe de la Beauté divine sur terre, dont elle doit être garante dans le modèle de vivre-ensemble qu’elle défend. Le Coran rappelle en ce sens : « Et parmi Ses signes : la création des cieux et de la terre, la diversité de vos langues et de vos couleurs. En cela, il y a bien des signes pour ceux qui savent. »[3]

     La déconstruction de la fiction médiatique en faveur d’Israël, échafaudée sur la base d’une manipulation des faits et des images, est d’utilité publique. Surtout lorsque cette fiction a le terrible pouvoir, pour paraphraser Malcom X, d’inverser les rôles, en faisant passer le démon pour l’ange et l’ange pour le démon.[4] Déconstruire consiste avant tout à redéfinir les termes et les concepts qui travaillent une question afin de reconstituer les faits dans le sens de la vérité. Appliquer les concepts adéquats à une réalité est une façon de la maitriser et c’est la première faculté dont fut dotée Adam « Et Il (Dieu) enseigna à Âdam le nom de chaque chose »,[5] autrement dit, Il lui enseigna l’art de nommer la réalité qu’il s’apprêtait à transformer. La transformation du monde passe par un exercice rigoureux de nomination, de conceptualisation et de définition des problèmes qui l’affectent. Car définir un problème c’est le dominer. L’impérialisme occidental a contrôlé le monde musulman parce qu’il a su le définir en lui appliquant ses propres catégories anthropologiques, comme « peuples primitifs », « sociétés archaïques » etc. En définissant les sociétés musulmanes selon son propre lexique, le pouvoir colonial a créé les dispositions mentales de leur impuissance et a pu ainsi asseoir son hégémonie culturelle. Les peuples colonisés ont commis l’erreur d’intérioriser ces concepts, autrement dit, de se définir sous le prisme des catégories colonialistes. Ainsi, en se posant en objet d’étude coloniale, ils ont cessé d’être sujets de leur histoire.

     Pour empêcher la force occupante d’imposer son référentiel colonialiste dans le débat qu’elle cherche à dominer sur la question palestinienne, il faut mener la lutte sur le plan terminologique. Il s’agit de rappeler aux promoteurs d’opinions sionistes le sens des mots qui dépassent leur intelligence, et surtout le sens de l’Histoire qui semble leur avoir échappé. Il est question, en d’autres termes, de se réapproprier un vocabulaire confisqué par la classe dominante, afin d’exposer une vision du réel, un récit, qui remet radicalement en cause celle que tente d’imposer les médias de masse dans l’opinion publique. Le principal acte de résistance à notre échelle consiste, de manière plus explicite, à décoloniser l’information en neutralisant la charge idéologique de la terminologie qui est principalement à l’œuvre dans cette guerre des mots et des images autour de la question palestinienne.

(…)

Extrait de « Déluge d’Alqsâ » de Sofiane Meziani, éditions Les points sur les i

[1] https://www.middleeasteye.net/fr/actu-et-enquetes/guerre-israel-palestine-fausses-informations-crimes-hamas-7-octobre

[2] John J. Mearsheimer et Stephen M. Walt, Le lobby pro-israélien et la politique étrangère américaine, La découverte, 2009

[3] Coran 30, 22

[4] Malcom X dit plus exactement : « Les médias sont les entités les plus puissantes sur terre. Ils ont le pouvoir de rendre les innocents coupables et de faire des coupables des innocents. Et c’est ça le pouvoir. Parce qu’ils contrôlent l’esprit des masses. » Retranscription d’un discours de 1963 citée dans Redefining Black Power : Reflections on the State of Black America, édité sous la direction de Joanne Griffith_

[5] Coran 2, 31

 

Author : Sofiane Meziani

« En vérité, Allah ne change pas l’état d’un peuple tant que les individus qui le composent ne changent pas ce qui est en eux-mêmes. » (Coran, 13:11)

L’illusion moderne nous laisse croire que la renaissance de la Oumma pourrait advenir uniquement par une réforme politique, économique ou par des changements institutionnels. Mais l’histoire est claire : aucune civilisation ne s’est jamais relevée par décret administratif ou stratégie purement extérieure. Une civilisation renaît toujours par l’éveil intime des consciences, par une révolte intérieure contre l’oubli de soi, contre l’engourdissement spirituel et moral.

Car l’islam n’a pas triomphé sur la scène mondiale simplement par des conquêtes militaires ou par des calculs politiques subtils. Sa grandeur fut d’abord la conséquence d’un bouleversement intérieur, d’un basculement radical du cœur, vécu par une poignée d’individus convaincus. Aujourd’hui, notre communauté traverse une période de confusion profonde, prisonnière d’une nostalgie paralysante et d’une incapacité chronique à penser clairement son avenir. Nous devons alors nous interroger avec lucidité : quelles sont réellement les conditions nécessaires au réveil authentique de l’islam aujourd’hui ?

1. Replacer Dieu au centre de nos existences

Le véritable mal qui gangrène notre communauté n’est pas d’abord politique ou économique. C’est l’oubli profond de Dieu. Pas cet oubli superficiel qui se contente d’un discours religieux sans âme, mais l’oubli existentiel qui fait que Dieu n’habite plus nos choix, nos ambitions, ni nos désirs les plus profonds.

L’islam est né précisément de cette révolution intérieure exprimée par ce verset :
« Dis : ma prière, mes actes de dévotion, ma vie et ma mort appartiennent exclusivement à Allah, Seigneur des mondes. » (Coran, 6:162)

Cette réalité-là, les compagnons l’avaient vécue dans leur chair. Leur foi n’était pas qu’une croyance abstraite ; elle était un feu qui brûlait au plus profond de leur âme. Tant que nous ne retrouverons pas cette intensité spirituelle, nos discours resteront creux, nos projets seront vains, et notre renaissance une chimère

2. Réveiller l’intelligence par la lecture et la science profonde

L’islam est né d’une injonction bouleversante : « Lis, au nom de ton Seigneur qui a créé » (Coran, 96:1). Ce n’était pas une simple invitation à parcourir des lignes, mais un appel radical à nourrir l’esprit et l’âme par une lecture profonde, exigeante, capable de transformer intégralement l’individu. Aujourd’hui pourtant, notre communauté, particulièrement en France, a délaissé cet effort intellectuel au profit d’un savoir fragmenté, dispersé, consommé à la hâte sur les réseaux sociaux. Une bonne partie d’entre les musulmans s’est abandonnée à une connaissance superficielle, éphémère, glanée furtivement sur les réseaux sociaux ou au fil de vidéos rapides, sans profondeur ni réflexion véritable. Nous croyons nous instruire en nous contentant de visionner quelques reels, en parcourant des publications fugaces ou en grignotant des contenus sans cohérence ni enracinement. Mais cette approche superficielle ne peut engendrer ni renaissance spirituelle ni lucidité intellectuelle.

Pour sortir de cette léthargie, nous devons revenir à une véritable culture de la lecture : celle qui nourrit, interroge, secoue et fait grandir. Celle qui nous confronte aux grands textes, aux savants authentiques, aux penseurs exigeants de notre tradition et du monde contemporain. Ibn Khaldoun, Al-Ghazâlî ou Ibn Taymiyya n’ont pas bâti leur pensée en picorant des fragments rapides. Ils se sont construits par une science patiente, une lecture méditative, critique, rigoureuse. Ibn Khaldoun affirmait que la force d’une civilisation réside dans sa capacité à produire du savoir vivant.

Sans ce retour au livre, sans cette réconciliation avec une connaissance profonde, authentique, exigeant effort et endurance, notre réveil restera vain. Une communauté ne renaît pas par le nombre de vues ou de clics, mais par la profondeur du savoir qu’elle cultive et transmet aux nouvelles générations. C’est en renouant avec cette exigence intellectuelle et spirituelle que nous pourrons réellement réinvestir notre rôle historique et retrouver notre véritable dignité.

3. Se délivrer du bas monde

Trop longtemps, nous avons cru que la réforme viendrait d’en haut, d’un changement politique ou d’une mobilisation ponctuelle. Or, la véritable renaissance commence toujours par l’individu, par son propre engagement moral. Le Prophète Muhammad ﷺ l’a clairement affirmé :

« Je n’ai été envoyé que pour parfaire les nobles caractères. » (Hadith rapporté par Al-Bayhaqi)

Nous vivons aujourd’hui une crise profonde de valeurs : petits arrangements avec la vérité, complaisances quotidiennes avec la médiocrité, course effrénée vers les apparences mondaines. Ce culte du bas-monde, cette obsession matérielle, est précisément l’une des causes principales de notre léthargie spirituelle.

Le véritable fléau qui consume aujourd’hui la communauté musulmane, ce n’est ni la force des ennemis extérieurs ni l’hostilité du contexte globalisé, mais bien cet amour profond du bas-monde qui a pénétré insidieusement les cœurs. Cet attachement viscéral au confort, à la richesse matérielle, à la jouissance immédiate, nous a rendus incapables d’endurance, de résistance et de véritable sacrifice. Notre foi s’est vidée de sa substance, réduite à un simple décor culturel ou à un folklore sans âme. C’est exactement ce que le Prophète ﷺ avait prédit lorsqu’il nous avait avertis : « Un temps viendra où les nations se rueront sur vous comme on se rue sur un plat. » Lorsqu’on lui demanda : « Serons-nous peu nombreux à cette époque ? », il répondit : « Non, vous serez nombreux, mais faibles comme l’écume portée par le torrent. Allah ôtera de la poitrine de vos ennemis la crainte qu’ils avaient de vous et mettra dans vos cœurs le « wahn ». » Quand on lui demanda ce qu’est le « wahn », il répondit : « L’amour du bas-monde et l’aversion de la mort ».

Ce hadith résonne tristement aujourd’hui comme le portrait fidèle d’une communauté nombreuse mais impuissante, riche mais stérile, confortable mais vulnérable. Car lorsque le bas-monde s’empare du cœur, il lui retire sa vitalité spirituelle, son courage moral, sa capacité à sacrifier l’immédiat au bénéfice de l’éternel. Tant que nous n’arracherons pas de nos cœurs cet amour excessif du confort et du bien-être, nous resterons condamnés à l’impuissance et à l’insignifiance historique.

4. Un engagement spirituel plutôt qu’un miracle extérieur

Les discours abstraits et les analyses infinies ne suffiront jamais à réveiller la Oumma. Le véritable changement ne viendra ni d’une solution magique ni d’un miracle politique ; il proviendra d’un retour sincère et humble à Allah, d’une redécouverte de la profondeur de notre foi et de notre identité spirituelle. Aucune réforme collective ne sera possible sans réforme intérieure. Tant que nous continuerons de rechercher des solutions extérieures, politiques ou économiques, sans nous remettre personnellement en question, rien ne changera. Notre inertie provient essentiellement du fait que nous avons oublié que toute renaissance commence par une purification profonde du cœur :

« Allah ne change pas l’état d’un peuple tant que ses membres ne changent pas ce qui est en eux-mêmes. » (Coran, 13:11)

Chaque musulman doit accepter d’être l’artisan premier de ce changement. La renaissance spirituelle de la communauté dépend d’abord de cette lucidité courageuse face à soi-même, de ce retour à la vérité intime de notre être. Cette renaissance, certes exigeante, est pourtant à notre portée. Mais elle nécessite patience, endurance, sacrifice. Elle exige aussi la conviction que l’islam n’est pas simplement un héritage culturel, mais une lumière éternelle capable d’éclairer les ténèbres du monde contemporain. Le Prophète ﷺ nous avait prévenu :
« Viendra un temps où pratiquer sa religion sera comme tenir une braise ardente dans sa main. » (Rapporté par Tirmidhi)

Face aux défis immenses que nous traversons, nous devons résister aux courants idéologiques destructeurs et redécouvrir que notre liberté véritable ne se trouve que dans la relation profonde et authentique avec Dieu. C’est à ce prix seulement que notre communauté pourra enfin retrouver sa dignité et son véritable rayonnement.

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1 Commentaire

  1. B

    Puisse Allah nous faciliter cette réforme profondément intime et vitale pour nos âmes 🤲🤲